Wednesday, May 22, 2013

La femme aux chaussures roses

bouton de pavot sur le point d'ouvrir
8:30, le tram est plein.
On se bouscule pour trouver une place debout et pire encore pour une place assise.
Dans un silence troublé par la musique des uns, les annonces du tram et les conversations des autres, personne ne la voit.
Toute petite, on aurait pu la prendre pour une enfant.
Mais son regard illuminé par des yeux bleus magnifiques raconte une histoire silencieuse que je ne parviens pas à lire.
 
Soudain, j'aperçois ce sac énorme sur son dos, cet autre  plus modeste autour de son cou et cet autre encore accroché au premier.

Je vois la crasse sur ce sac noir qu'elle transporte sur son dos, un sac de randonnée ou de voyage, 60 -70 litres, plein à craquer.

En bandoulière, un sac ethnique dont les couleurs chatoyantes ne sont plus qu'un souvenir.

Puis ma surprise s'agrandit quand je découvre les deux écharpes qui la protègent du froid de mai, son épais manteau noir qui la couvre jusqu'aux chevilles puis ses mains sales refermées sur un tube de PVC auquel elle a fabriqué une poignée de tissu... Bâton de marche ou arme pour se défendre?

Pèlerine, voyageuse baroudeuse ou sans domicile fixe. Je m'interroge et me refuse toute réponse.

Comme un oiseau mystérieux inattendu sur mon chemin, je la regarde.

Elle est belle.
 
Je la trouve magnifique et dans son regard où je perçois la crainte et la fatigue, je voudrais tant lui demander son histoire.

Mais de sa bouche close au coin de laquelle une miette s'est égarée, je devine le silence de celle qui peut être ne parle pas français.
 
Je cherche son histoire, j'essaie de deviner ce que pourraient raconter ces mains fines aux ongles courts, ces mains salies par la terre, serrées contre son bâton de fortune.

J'imagine un voyage, long, douloureux. Une traversée de frontières à travers l'Europe, une fugue, une fuite, une lutte pour survivre dans un monde de brute pour une jeune femme aux yeux bleus, où la beauté n'est pas une arme pour gagner mais un appât pour être mangée.

fleur de pavot
J'ai peur pour elle.

J'ai peur de l'histoire qu'elle ne raconte pas et je voudrais, dans un élan absurde lui apporter une aide qu'elle ne demande pas.

Je replonge dans ce regard azur qui refuse de m'en dire plus.

Sur son visage, je cherche les traces du temps mais les rides n'ont pas encore trouvé leurs places ici, alors je m'imagine qu'elle a à peine vingt ans.
 
Sous son béret noir, quelques mèches blondes presque blanches s'échappent.

Je regarde chaque détail qu'elle laisse apercevoir.

Sous le manteau noir, un pantalon de velour marron.

A ses pieds, des petites chaussures roses, des ballerines fatiguées, où elle a glissé ses pieds couverts de chaussettes de sport blanches.

Je refuse l'explication de ce mélange vestimentaire surprenant, j'essaie de voir ce qui semble invisible aux gens autour, j'essaie de deviner une histoire.

Mais une place dans le tram se libère, mon dos exige ce fauteuil vide, la décence demande que je cesse de la dévisager.

Alors je m'installe. Comme la foule dans le tram, je continue mon chemin, sans un regard derrière moi.

Mais la conscience me travaille.

Je me retourne pour voir si elle est encore là.

Elle est partie. La place occupée par la femme aux chaussures roses est vide.

Et je m'interroge encore sur son histoire, son présent, son futur. Une boule au ventre, je culpabilise de n'avoir rien fait, rien su faire alors que... peut être.... peut être elle a besoin d'aide...
Et comme la foule dans le tram, j'ai continué mon chemin, je suis allée travailler, laissant derrière moi les pauvres, les affamés, les miséreux, les oubliés.







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