Alors que le jour est encore loin, il y a cette graine
cachée au fond de mon jardin qui se réveille. Une odeur de printemps la
précipite vers une nouvelle vie, elle sort de son sommeil et doucement, dans un
silence assourdissant, elle germe.
Au même instant, alors que la nuit est encore là, des amants
se rapprochent et se collent l'un à l'autre pour lutter ensemble contre le
froid qui les encercle en attendant un bus qui n'arrive pas.
Dans la tiédeur d'un lit, un peu plus loin, deux vies se
mêlent et dans un soupir trahissant le plaisir, ils inventent une nouvelle vie,
une graine qui germe, comme celle que je ne peux observer au fond de mon
jardin.
A l'autre bout de la ville, une femme hurle et se délivre
enfin. Des larmes coulent sur son visage. Il est impossible de savoir s'il
s'agit de bonheur ou de fatigue. Une infirmière sourit et lui dit : c'est un
garçon, il est en parfaite santé. Il est alors temps de révéler le prénom de
l'enfant.
Dans un autre bâtiment, une infirmière se lève et court.
Elle entre dans la chambre où le patient semble dormir paisiblement. Une
machine siffle un bruit continu et sans appel. Le coeur s'est arrêté. Il n'y a
plus rien à faire. Et elle doit maintenant prononcer ces mots, une fois de plus
"heure de la mort 2h11".
Il n'y a pas de famille derrière la porte qui attend de voir
enfin celui qu'ils chérissent. Il ne faudra pas regarder ces gens en face et
leur dire "c'est fini".
Il faudra appeler l'épouse, celle qui vient tous les jours,
qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige, celle qui depuis deux mois voit sans le
voir, disparaître celui qu'elle aime. Il faudra trouver les mots pour le dire,
sans violence, sans ambiguïté. Puis, raccrocher, soulagée par la tâche
accomplie et ajouter des mots, des chiffres, sur des tableaux. Un de plus dans
les statistiques, un de moins sur la liste d'attente, une chance de plus pour
d'autres.
Olivier.
Olivier est un arbre et je m'imagine chaque fois qu'il est
un chêne dur et solide qui résiste à toutes les tempête.
Mais il s'efface petit à petit, prenant chaque jour un peu
moins de place. Et aujourd'hui, après tous les efforts fournis pour rester avec
elle, il disparaît, laissant une place vide dans le lit conjugal, sur le canapé
du salon, dans la chambre d'hôpital.
Le coeur donné il y a vingt ans au jeune homme de vingt cinq
ans a bien travaillé toutes ces années. Mais il est si fatigué que le bel homme
de 45 ans a disparu depuis quelques temps et c'est un autre visage qui se
dessine sous les traits de celui qu'elle aimait.
Elle n'a rien vu, enfermée dans ce quotidien de lutte depuis
si longtemps.
Mais depuis quelques jours déjà, la peur la hante en silence.
Elle garde l'espoir du miracle, ce miracle qui arrive toujours là où la science
trouve ses limites.
Le miracle qui n'est pas arrivé.
Et c'est ainsi que, dans la paix d'un sommeil difficile à
trouver, la maîtresse qui hante et effraie les vieillards est venue. Penchée sur son lit, regardant un visage qu'elle n'avait jamais vue, trompée par la
bataille menée qui épuisait cet homme, elle a cru qu'il était temps de
l'emporter avec elle.
Sans même le réveiller, doucement elle a posé sa main sur le
coeur qui luttait encore. Un coeur si fragile, que le simple effleurement de
cette main a suffit à l'arrêter.
Puis, pendant que dans la chambre d'autres femmes s'affairaient,
la mort s'en allait, emportant avec elle une vie fatiguée, laissant sur le lit un
corps décharné.
Il a trouvé le repos.
Trop tôt.
Et pendant que l'épouse pleure, je ne trouve pas un mot qui puisse
soulager sa peine.
Ton texte est bouleversant. Toutes mes condoléances ainsi qu'à son épouse
ReplyDeleteMa meilleure amie. Et je me sens une merde, là assise sur ma chaise, incapable de l'aider, incapable de travailler, incapable de bouger et de trouver le mot qu'il faut.
ReplyDeleteMerci
Qu'il repose en paix. Il est toujours difficile de trouver les mots justes pour "adoucir" la peine de ceux qui nous sont chers...
ReplyDeleteMerci Coco.
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