Monday, June 11, 2012

Perdue


Je me sens comme si tu étais parti, que tu avais laissé ce bout de moi sur un trottoir en disant, Attend là, je reviens, et que tu n'étais jamais revenu.
Je me sens abusée, trahie, abandonnée. Tu es parti.
Tu m'a laissée là sous ce nuage gris menaçant d'inonder mon visage qu'aucun trait de maquillage noir ne viendra salir quand les larmes vont enfin jaillir de ces yeux grands ouverts qui attendent encore un retour, ce retour qui ferait mentir tous les présages que j'ai lu dans tes yeux hier soir, dans ta main qui n'a pas caressé la mienne depuis des semaines, dans ces mots que tu ne dis plus et ces lettres que tu ne m'écris plus.
Je sais bien que je repars seule sur cette route où la pluie déjà se réjouit de remplir les recoins et les bassins accidentels que la vie a laissé.
J'ai soixante ans. Ou presque.
Soudain je me sens seule sur ce chemin et soudain je me sens triste, vidée, épuisée.
Je me suis trompée de chemin.
Maman disait, comme tu fais ton lit, tu te couches et qu'à trop choisir on te choisira aussi.
J'ai acheté une couette, de qualité, je ne voulais plus faire mon lit. Je me suis couchée dans ce lit aux draps propres mais je n'ai pas plié les draps au carré, j'ai oublié de rester maître d'un petit bout de mon destin.
J'ai trié, refusé, pris, jeté et puis j'ai cessé de choisir et j'ai été choisie. De maître je suis devenue esclave et je me réveille ce matin, une douleur dans le ventre que je ne contrôle plus.
Je suis devenue l'esclave de ce sentiment que tu as fais naître, toi qui m'a choisie quand j'ai enfin baissé la garde, fatiguée de cette longue vie de solitude et de batailles.
Une femme qui se bat doit rester seule ou accepter d'aimer et de souffrir de tout ce qu'elle ne contrôle plus et de tout ce qu'elle perdra parce que même quand elle aura baissé la garde, au fond, elle restera celle qui se bat, pas celle qu'on bat.
J'ai trente quatre ans. Ou presque.
Et ce matin je me suis trompée de destin. J'ai pris les mouchoirs pour les larmes, les yeux tristes et le ventre noué. Je t'ai regardé t'éloigner en envoyant ce baiser que tu donnes par habitude, je t'ai laissé partir comprenant soudain que tu ne reviendras plus. Et je n'ai rien dit.
J'ai serré les dents et j'ai repris mon chemin. La tête haute, le regard fort, j'ai continué sans penser à demain.

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